Olivier, celui qui ne voulait pas gâcher la crise


Dès les premiers jours de la crise que nous sommes en train de traverser, j’ai été frappé par les réactions multiples de l’écosystème entrepreneurial français. Opportunisme financier, panique sanitaire, désenchantement d’un modèle de croissance fragile… J’ai entendu tout et son contraire sur «le monde d’après », parfois de la même personne en l’espace de quelques minutes. Plutôt que d’écouter les faux prophètes ou les spécialistes en pleine montée d’ego, je suis parti à la recherche d’un entrepreneur de terrain, capable de m’apporter un peu de recul et de raison

J’ai tout de suite pensé à Olivier, et ce qu’il m’a raconté m’a tellement passionné que j’ai décidé de vous le partager sous la forme de cette interview. En effet, Olivier est l’homme de la situation : en créant Eptica au début du siècle, à la veille de l’effondrement de la bulle Internet, il n’a eu d’autres choix que de s’adapter et de construire une organisation qui intègre la crise comme élément naturel voire majeur de sa croissance. Près de vingt ans après, il a vendu sa société à un groupe canadien et continue de déployer sa solution Saas auprès de clients toujours plus nombreux.

Alors, quel est son secret et quels bons conseils peut-il nous prodiguer, en ces temps troublés ? Avant de vous retranscrire nos échanges, laissez-moi vous présenter un peu notre homme… 

En 1987, quand Olivier sort de son école de commerce, il se passionne déjà pour la technologie – l’informatique, dit-on alors. Plutôt que de rejoindre un grand groupe comme ses amis, Olivier préfère faire sa carrière dans le monde naissant de l’édition logicielle, d’abord en France puis à l’étranger. Plus le temps passe et plus l’entrepreneuriat l’attire. En s’intéressant aux premiers logiciels du Net, il réalise que l’e-mail va révolutionner la Relation Client. Son patron n’y croit pas et lui refuse le rachat d’une technologie à ce sujet, alors Olivier prend son envol et se dédie à construire le premier et le meilleur outil de gestion d’email pour les services de Relation Client. Entre 2001 et 2020, il sera le témoin et l’un des moteurs d’une transformation profonde des modes de communication entre une entreprise et ses clients. Le mail s’imposera peu à peu comme l’alternative majeure au téléphone, avant d’être complété par le chat, la vidéo, l’intelligence artificielle et tant d’autres à venir. Aujourd’hui encore, malgré la vente récente de sa société, Olivier est en prise directe avec les évolutions de son marché. Passionné par l’innovation et la culture produit, il vit cette crise comme une formidable opportunité de transformation.

Découvrons ensemble son témoignage…

Avec ton équipe, comment avez-vous abordé la crise actuelle ?

L’enjeu majeur de cette crise, c’est de renforcer le lien entre les membres de l’équipe. Que ce soit par des réunions professionnelles, des moments de convivialité ou de partage, il faut inventer des pratiques et passer du temps avec chacun. Nous avons donc d’abord intensifié les rituels collectifs (stand-up quotidien par équipe et meet-up avec tout le monde toutes les deux semaines), puis nous en avons ajouté d’autres (un concours photo hebdomadaire et une réunion live non cadrée pour parler des sujets liés au confinement, par exemple). Moi-même, j’ai pris mon téléphone et j’ai appelé chacun de mes 40 collaborateurs. Ça a été une expérience incroyable en termes d’apprentissages sur la vie personnelle de mes collègues : je suis impressionné par la connaissance des uns et des autres que cette crise a généré.

Dans cette période, il ne faut pas hésiter à surutiliser la vidéo. En interne, nous utilisons notre propre produit B2B qui est déjà très adapté. Je crois qu’il faut comprendre qu’on peut tout faire en vidéo, même avec les clients, même pour signer un contrat. On va devoir s’habituer car cette dynamique va s’inscrire dans la durée. Le télétravail s’impose de plus en plus, qu’il soit volontaire ou contraint. C’est une véritable lame de fond qui se prépare.

En tant que leader, mon rôle c’est de rassurer : je dois montrer qu’il y a un après. Ça tombe bien, ma posture naturelle, c’est déjà de parler calmement du futur, d’expliquer comment je vois l’année 2021 pour montrer qu’on se projette. De toute manière, qu’il y ait une crise ou non, un leader ne doit pas être dans le tourbillon quotidien, il doit aider l’équipe à garder du temps pour les réflexions tactiques et stratégiques. 

Tu es entrepreneur depuis bien longtemps : quelles sont les crises que tu as traversées ?

Tu sais, j’ai déposé le Kbis de ma société le 30 août 2001. Le lendemain, c’est la crise qui commence. À l’époque j’ai 3 enfants dont un fils de six mois, je viens de quitter un emploi bien rémunéré dans l’édition logicielle, j’ai investi mon argent personnel et celui des quelques proches qui ont bien voulu croire en moi… À ce moment-là, tu n’as plus le choix, tu entres dans une dynamique de résilience dès le démarrage. Il ne fallait pas attendre de reprise pérenne avant 2003 voire 2004, alors j’allais devoir m’engager dans la durée. Au lieu de me focaliser sur la vente, j’ai tout misé sur le produit, et ça m’a donné l’opportunité de développer le meilleur produit de gestion d’email au monde.

Un peu moins de dix ans plus tard, la crise financière ne nous a pas empêchés de faire une croissance de 30% par an ! Nous avons investi massivement en marketing pour expliquer au marché que cette crise était une opportunité de bien s’occuper de leurs clients. Ceux qui s’en sortiraient seraient ceux qui auraient su rester au contact et répondre aux questions en offrant une bonne expérience ! Ainsi, nous avons aidé nos prospects à défendre leur budget et nous avons pu convaincre de nombreuses entreprises d’investir sur leurs clients dans cette période difficile. 

Mais tu sais, les crises les plus dangereuses sont rarement exogènes, car les situations finissent toujours par se retourner et se rééquilibrer. Non, ce qui arrive le plus souvent et ce qui compte le plus, ce sont les crises internes, endogènes, celles qui sont générées par ton ambition et les limitations de ton organisation. 

Par exemple, l’installation d’un bureau à l’étranger, c’est une rupture très difficile à mettre en œuvre. La maison mère va toujours rejeter ce choix, et c’est bien normal : tu demandes à ceux qui vont bien de se sacrifier pour d’autres qui iront bien un jour. Et en plus, il y a cette grosse barrière de la langue, qui fait que certaines personnes clés se retrouvent en difficulté. 

Un autre exemple de crise que nous avons traversé, c’est quand nous avons raté l’avènement du chat en 2010. Cette crise d’Innovation nous a couté cher : des compétiteurs sont entrés sur le marché et nous avons eu l’impression d’être des losers, des has been. « We were the future, once », comme je disais souvent à l’époque. Pour nous en sortir, il a fallu investir sur l’intelligence artificielle et attendre plus de quatre ans que ce pari paye…

Qu’as-tu appris de toutes ces crises ?

En près de vingt ans, Eptica a traversé trois crises sociétales majeures et quatre crises internes avec un gros renouvellement de l’équipe. À chaque fois, nous en sommes sortis grandis. Alors pour moi, la conclusion est claire :

« Une crise est trop importante pour être gâchée »

Dans un moment de crise, on peut casser les barrières dans nos têtes : on réalise ce qui ne va pas (en termes de people, de stratégie, de produit…) et on s’aligne sur ce qu’il faut changer. Tout le monde l’accepte et on lance des produits très rapidement. Moi je dis, dépêchons-nous tant qu’on est dedans pour changer les choses, sinon on heurte le plafond de verre et on aura bien plus de difficultés à développer son entreprise ensuite. Il faut sortir transformé par la crise !

Dans la tech, ça marche par vague. La seule entrée d’un compétiteur peut vous mettre en crise. Il ne faut pas se sentir écrasé, il ne faut pas se figer ; au contraire, il faut la magnifier. Je trouve que les périodes d’euphorie sont bien plus dures à gérer. En crise, tout s’éclaire et tout revient à une histoire d’hommes et de femmes. Est-ce que les bonnes personnes sont aux bons postes ? Il ne faut pas non plus gâcher les personnes qui ne sont plus adaptées : les crises s’accompagnent de changements d’équipes, ce ne doit pas être un problème.

Dans ces moments de transformation, il faut se faire accompagner. À chaque fois qu’Eptica a vécu cela, nous avons travaillé avec des externes : des coachs, des consultants, des personnes au regard extérieur qui accélèrent le changement. Les entrepreneurs ont besoin de support et d’aide ! En ce moment plus que jamais. 

Justement, c’était quoi la crise que vous traversiez lorsque tu nous as rencontrés ?

À partir de 2012, après une belle levée de fonds, nous avons décidé d’alterner entre deux années d’investissement à perte et deux années de profits pour reconstituer nos réserves. Cela a bien fonctionné jusqu’à 2017, où nous sortions d’une période de déficit, et nous avions de gros doutes sur nos perspectives d’être profitables en 2018. Nous étions trop gras et il nous fallait des mesures drastiques pour redresser la barre.

Qu’est ce qui vous a décidé de faire appel à nous, du coup ?

Je me rappelle très bien, à l’époque, j’ai fait venir Cédric à notre séminaire manager. Il a été courageux de nous rejoindre en lointaine banlieue parisienne, pour faire la preuve sur le terrain de votre savoir-faire. Moi, ça m’avait parlé tout de suite, mais pour mon Codir, il leur fallait un déclic. J’avais peur qu’ils ne rentrent pas dans le truc. C’est quand même conceptuel votre histoire, alors ils avaient besoin d’une démonstration.

C’était un choix difficile d’investir quatre-vingts milles euros dans une période de redressement de l’entreprise, où chaque équipe se devait de faire des économies. Mais je voulais une méthodologie pour mettre tout à plat, et la vôtre était parfaite. On continue d’ailleurs à l’utiliser chez nous, avec quatre Masterplans qui tournent en ce moment. Votre équipe aussi m’a convaincu par sa complémentarité et sa capacité d’exécution. Pourtant, j’avais dit à Cédric que c’était lui que je voulais.

Et qu’est ce qu’on vous a apporté ?

Tu sais, quand on parle rentabilité aux salariés, c’est toujours compliqué. Ça fait peur, c’est pas leur job, certains ne sont même pas au courant qu’on perdait de l’argent… Avec vous, on a mis tout le monde sur le sujet. Le moment clé, c’est quand j’ai pu expliqué à tous les collaborateurs notre logique financière, la répartition de nos coûts fixes, de nos coûts variables… Tout un cours de rentabilité !

Cette année-là, on a explosé le compteur en gagnant beaucoup plus que ce qu’on avait prévu. Sans vous, j’aurais réussi à redresser la boîte, mais pas à aller aussi loin. On a dépassé les objectifs et ça, je vous l’accorde directement. C’était un super succès, qui m’a permis de vendre mon entreprise au moment où il fallait le faire, et au bon prix. 

Tu veux partager quelque chose pour conclure notre échange ?

Je voudrais partager un message à tous les entrepreneurs qui viennent de se lancer ou qui hésitent. Je voudrais leur dire que cette crise est une super opportunité pour démarrer, car quand la crise rentre dans l’ADN de la boîte, c’est une formidable source de résilience et de succès.


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