Comment Gens de Confiance a construit une équipe de leaders qui déchire
La plupart des leaders que j’ai rencontrés ne formaient pas une véritable équipe !
Malgré tous les comités, les coachings et les séminaires de cohésion, à la pointe de la pyramide, la collaboration est trop souvent un échec.
Au mieux, la Direction ressemble à un club d’affaires, où chacun vient nouer des partenariats avec les autres pour servir ses intérêts propres. Au pire, elle ressemble à un cabinet d’agents de stars, prêts à toutes les trahisons pour leur bonus et leur réussite personnelle.
L’équipe de leaders d’ASK, agence inspirée de faits réels dans la série Dix Pour Cent
Trop rarement, les leaders d’une organisation forment une équipe soudée, capable d’humilité, de vulnérabilité et de confiance. Et comme nous ne croyons plus au mythe de l’entrepreneur tout-puissant, cela nous paraît un vrai problème…
Alors, comment construire une équipe de leaders qui déchire ? Je ne prétends pas avoir toutes les réponses, mais j’aimerais vous présenter ici la trajectoire singulière d’une startup que j’ai la chance d’accompagner depuis 4 ans.
Parcourons ensemble le chemin qu’ont suivi les leaders de Gens de Confiance pour mettre sur pied un collectif puissant.
Savoir adapter le périmètre aux personnes (et pas l’inverse)
En 2021, après le départ de leur CTO et leur VP Engineering, l’équipe de Direction atteint les limites de son fonctionnement. La stratégie de l’entreprise n’est plus aussi claire, après une année Covid pleine de bouleversements, d’opportunités mais aussi de distance entre les membres de l’équipe.
Le constat est alors sans appel : les leaders de Gens de Confiance ont besoin d’un nouveau souffle pour accompagner le développement rapide de leur organisation.
L’entreprise a bien grandi et dépasse maintenant les 50 personnes, tandis que l’équipe de direction ne s’est pas renforcée depuis quelques années. Celle-ci se compose de trois fondateurs (CEO, CFO, CCO*), d’une CMO et d’une Head of Product, tous à la recherche d’une dynamique collective plus efficiente.
*Dans une marketplace communautaire comme Gens de Confiance, le Chief Community Officer a en charge toute la relation avec la communauté, pour s’assurer de la qualité de son expérience et porter sa voix au niveau exécutif.
Ces leaders opèrent alors deux changements clés
D’abord, le CFO devient CEO. Celui-ci joue en effet déjà souvent ce rôle au quotidien, en animant l’équipe et les managers, et en portant les décisions clés. Mais l’officialisation de ce changement lui donne les coudées franches, là où il n’osait parfois pas prendre certaines initiatives, afin d’éviter de marcher sur les pieds de son associé et ami.
Même si ce dernier était aligné avec cette décision, qu’il la comprenait et l’acceptait sans ego mal placé, il ne faut pas négliger le degré d’humilité et de courage qu’il faut à l’ancien CEO dans ce processus. Pas si facile de passer la main et de devoir retrouver une place dans la boîte qu’on a soi-même créée…
Le deuxième changement clé est l’intégration d’un nouveau leader au poste hybride de CPTO (Chief Product & Technology Officer). Les fondateurs étaient depuis des années en discussion avec un profil expérimenté, un très bon manager Tech qui souhaitait aussi renforcer sa sensibilité Produit. Après réflexion, ils lui proposent donc ce poste ; une décision nécessitant cette fois beaucoup d’humilité de la part de la Head of Product, qui doit là intégrer son futur manager.
Apprentissage #1 : une équipe de leaders met toujours le projet d’entreprise avant son ego et ses ambitions personnelles.
Ces deux changements auraient pu être le terreau de rancœurs et de ressentiments entre les leaders ; ils renforcent au contraire leur équipe car ces choix sont les bons. En ajustant les rôles au plus proche des forces de chaque leader, cette équipe de direction fait le premier pas vers une véritable responsabilité collective.
Dans la croissance d’une entreprise, la place de chaque leader doit s’adapter au gré des besoins et des changements. Ce que vous avez à apporter peut être clé à un moment de la vie de la boite, et puis ne l’être plus autant dans la période qui suit. Accepter cette réalité avec humilité, accepter même de quitter l’équipe de direction quand l’entreprise grandit trop vite et que vous n’avez plus le niveau : voilà ce qui est attendu d’un vrai leader. Aussi difficile que cela puisse être…
Prendre le temps de la vulnérabilité et du désaccord
Dans les semaines qui suivent, la Direction de Gens de Confiance se renforce encore d’un membre, avec l’arrivée d’une Head of Strategy & Operations, brillante consultante issue du renommé BCG. Si vous avez bien suivi, voilà les leaders désormais au nombre de sept :
- deux nouvelles recrues de haut niveau
- une leader historique avec un nouveau boss
- une autre leader prête à partir en congé maternité
- un premier fondateur nouvellement CEO
- un second fondateur avec un poste à redéfinir
- un troisième fondateur qui essaye de stabiliser tout ça
La complémentarité des personnes et des personnalités est excellente ! Cependant, l’adjonction de ces profils ne fait nullement une équipe soudée. Les changements de périmètre et les arrivées poussent alors ces leaders à s’investir collectivement, afin de partager réellement une vision, un projet, des décisions et des responsabilités.
Quelles sont les bases d’une bonne équipe, finalement ?
Pour Google, c’est la sécurité psychologique, pour Patrick Lencioni, c’est la confiance et la capacité à traiter les conflits. Dans les deux cas, l’idée clé, c’est que la vulnérabilité et le désaccord sont le terreau d’une bonne dynamique collective. Autrement dit, pour qu’une équipe fonctionne, il faut que chacun soit à l’aise pour exprimer ses idées et ses doutes, même quand elles vont à l’encontre de la pensée dominante. Arriver à ce niveau de confiance n’est pas chose aisée (même quand on s’appelle Gens de Confiance…).
Lors d’un séminaire et avec l’aide d’une coach spécialisée, nos leaders commencent donc par améliorer leur connaissance interpersonnelle. MBTI, Arbre de vie, discussions libres le long de la côte ou à l’apéro : des temps dédiés à parler de soi, de son fonctionnement et de ses moteurs, en profondeur, afin que chacun comprenne et accepte l’altérité de ses coéquipiers.
Certains leaders de Gens de Confiance en pleine réflexion (si si, regardez ils ont des post-its)
Après une journée à s’ouvrir et se découvrir, les participants sont prêts à évoquer les sujets qui fâchent… L’étape suivante adresse directement des conflits inédits, préparés et présentés par les leaders les uns après les autres. Interdiction d’abord de donner son avis et débattre : seules les questions de clarification sont autorisées. Puis chacun se positionne dans la pièce pour exprimer son accord ou son désaccord. Comme dans cette vidéo, mais en restant habillé. Les leaders votent alors pour choisir les sujets à traiter immédiatement, et ceux qui sont à discuter dans les semaines à venir. L’objectif est d’éviter les réactions à chaud en laissant le temps de la digestion.
Apprentissage #2 : une équipe de leaders se donne les moyens de parler de sujets personnels ou difficiles en toute sécurité
Avant de venir au séminaire, certains participants étaient dubitatifs, mal à l’aise à l’idée de devoir se livrer personnellement, et angoissés par l’évocation de ces potentiels conflits. En créant les conditions du débat, les leaders ont pu parler de sujets très sensibles et cela les a soudé. La connaissance et la vulnérabilité ont ouvert la porte au débat, à la confiance, celle-ci étant raffermie par une sincérité et une mise en danger, acceptée et collectivement accueillie.
À la fin de ces deux jours, l’énergie est communicative. On sent dans l’air que les éléments commencent à se réunir pour que ces leaders deviennent une équipe…
Devenir une équipe de leaders et lâcher du lest
Les bonnes personnes réunies, la confiance présente, et pourtant ces leaders ne forment toujours pas une équipe ! Il leur manque encore quelque chose de fondamental, que la plupart des entreprises oublient, et qui a trait à la notion d’appartenance.
Prenons un de nos leaders au hasard (par exemple la CMO). Demandons-lui quelle est son équipe, son équipe de cœur, celle dont elle est proche et qui occupe ses journées et ses pensées. La plupart du temps, elle vous répondra que c’est l’équipe qu’elle encadre (l’équipe marketing dans notre exemple : le responsable de la marque, celle de l’acquisition, du SEO…), mais pas l’équipe de Direction !
C’est encore Patrick Lencioni (dans son must-read absolu) qui explique ce concept de Team#1. En général, les membres de la Direction considèrent instinctivement que leur équipe de rattachement est celle composée de leurs subordonnées, à l’exception notable du CEO qui rame pour embarquer les autres leaders…
Pour inverser la tendance, il faut réussir à créer une dynamique où chaque membre de l’équipe s’engage régulièrement au-delà de ses attributions, sur des projets transverses, voire carrément sur des projets du périmètre d’un autre leader qui aurait besoin d’aide, et serait capable de l’accepter sans ego mal placé.
Une partie de l’équipe de France de rugby avant leur victoire en coupe du monde
Les leaders de Gens de Confiance relèvent alors ce défi en s’appuyant sur les OKR, cette démarche en vogue chez les startups, et dont nous décrirons l’implémentation dans un prochain article. Cela fait maintenant quelques années qu’ils co-construisent et pilotent ainsi leurs objectifs, et tout le monde est rodé à la méthodologie qui organise chaque pôle autour de ses OKR.
=> L’avantage ? Des équipes focalisées qui délivrent et itèrent rapidement.
=> L’inconvénient ? Des silos qui poussent les pôles à ne se focaliser que sur eux-mêmes.
La solution mise en œuvre est d’une grande simplicité : les leaders de l’organisation se mettent collectivement à rédiger et suivre des OKR comme n’importe quel pôle, en laissant leurs équipes travailler en autonomie et en consacrant du temps aux projets communs de la Direction.
Pour la première fois, l’équipe de Direction existe alors de manière officielle et visible. Elle a un objectif court terme, des indicateurs de résultats, des projets communs, qui dépassent largement les objectifs individuels de chaque membre de l’équipe… Tout ce qui leur manquait pour embarquer dans une réelle dynamique collective.
Apprentissage #3 : une équipe de leaders partage et pilote ses objectifs comme n’importe quelle équipe de son organisation
En se focalisant sur leur équipe de Direction, les leaders auraient pu perdre une partie de leur influence auprès de leur pôle, occasionnant de plus nombreuses erreurs et des ralentissements de l’exécution. Mais au contraire, les collaborateurs prennent alors leur autonomie, en profitant de l’espace laissé par les leaders.
De plus, la transparence de cette nouvelle équipe de Direction (avec notamment la diffusion à toute l’entreprise des comptes-rendus des instances hebdomadaires) permet une exemplarité appréciée par les équipes. En leur montrant ce qu’ils sont capables de réaliser en étant soudés et performants, en montrant aussi leurs doutes et leur vulnérabilité, les leaders de Gens de Confiance inspirent alors leurs collaborateurs à se dépasser en toute confiance et en toute sécurité !
En conclusion
Les leaders de Gens de Confiance ont parcouru un chemin qui les a mené là où ils sont aujourd’hui :
– D’abord, répartir les rôles au plus près de leurs forces et non au service de leurs égo
– Ensuite, apprendre à se connaître, à se parler et à se confronter en toute sécurité
– Enfin, co-construire des objectifs communs au-delà de ceux de leurs équipes respectives
Depuis que ces leaders forment une équipe, ils ont favorisé un environnement où toutes les équipes fonctionnent mieux et délivrent plus rapidement, et où ils sont eux-mêmes bien plus heureux de faire partie d’une équipe de pairs plutôt que de diriger seul une équipe de collaborateurs…
Apprentissage final : la solitude des dirigeants n’est pas une fatalité et les leaders d’une organisation peuvent former une équipe qui déchire