L’adéquation Organization/Growth ou comment vivre sereinement un scale important


Toutes les boîtes, de leurs débuts jusqu’à la croissance et au scale, passent par des phases de vie connues et très documentées. Elles commencent par rechercher une adéquation problème/solution, et tout de suite après une adéquation produit/marché. Ces deux premières étapes s’appellent « Discovery » et « Validation » dans le modèle de Stephen Blakesley, basé sur l’étude de 650 startups. En France, dès que l’adéquation produit/marché est atteinte, ou du moins qu’elle l’est assez pour la défendre, on se lance dans la levée de la série A. Et là, sous l’impulsion souvent pressante de nos fonds d’investissement, on part à l’assaut de la croissance. Seulement voilà, dans ce modèle, avant l’étape « Scale », il y en a une petite, qui s’appelle « Efficiency », et que chez nous on a un peu tendance à l’oublier. Pourtant, on le voit chez les startups qu’on accompagne, elle est très souvent vitale pour vivre le scale sereinement ! Cette étape est le premier focus interne de la boîte. C’est la première fois que l’on va vraiment prendre le temps de comprendre et travailler l’organisation, sa structure, sa vitesse, sa souplesse, pour la préparer à une croissance importante.

 

Cette phase Efficiency, je l’appelle souvent « adéquation organisation/growth ». Elle déterminera votre capacité à scaler. Et c’est tout simplement indispensable d’y penser avant de mettre le paquet sur les canaux d’acquisition.

 

Cet article est bien évidemment destiné aux fondateurs de startups, mais aussi aux fonds d’investissement de série A français. En lisant attentivement ce qui va suivre, vous pourrez mesurer le danger de mettre la pression sur les chiffres juste après une levée. Cela ne fera en réalité que reculer la croissance à moyen terme, et ce de manière non négligeable. C’est ce que je me propose de vous expliquer ici.

La croissance est un escalier : comprendre le focus interne.

Élargissons quelques secondes notre champ de vision. La croissance est un phénomène totalement naturel, qui existe partout, pas que dans nos entreprises. Je vous lance un petit défi : trouver un phénomène de croissance qui soit sans palier. Pour ma part je n’en connais pas.

  • Les plantes se servent des saisons pour croître. Chaque saison est importante dans le développement d’une plante, pourtant la croissance n’est active et visible qu’au printemps.
  • L’apprentissage se fait toujours par palier. Dans toutes les écoles du monde, les cycles d’apprentissage sont rythmés par des vacances, qui ont aussi pour fonction de laisser les mémoires assimiler les connaissances.
  • Le développement corporel : en yoga, la posture la plus importante est le shavasana, une posture de repos total, allongé sur le dos. Cette posture permet au corps d’intégrer les bienfaits des postures précédentes de manière durable. Je me la raconte un peu avec le yoga, mais le body-building marche de la même manière. L’alternance des phases de prise de masse et d’assèchement est le moyen le plus efficace de développer la musculature.
     

Dans une boîte, c’est exactement pareil. La croissance n’est jamais linéaire (ou une belle exponentielle), elle se fait toujours par paliers. Ces paliers sont en fait des alternances de focus internes et de focus externes.

  • Dans un focus externe, toute l’entreprise regarde vers l’extérieur, et est concentrée sur les ventes, le marché, l’augmentation de la volumétrie. Un focus externe, c’est la guerre, on charge et on ne se pose pas trop de questions, parce qu’il faut monter une marche.
  • Une fois la marche montée, on arrive sur un focus interne. On se pose, on intègre ce qui s’est passé, on ajuste la machine. Il faut encaisser la croissance folle qui a brouillé l’ensemble de l’organisation. On « regarde en dedans » et on se prépare pour la prochaine marche.

Ces étapes internes et externes ne se gèrent pas de la même manière. Les objectifs de la société sont différents, et donc les objectifs de chaque équipe sont différents. Dans un focus interne, l’entreprise est concentrée sur la structure, les process, l’optimisation, la dette technique et humaine.

Les focus internes sont une nécessité, et sont même très stratégiques. Apprendre à bien piloter les focus internes, c’est apprendre à réduire leur durée. En les rendant plus courts et plus efficaces, on augmente la pente générale de la croissance !

Ne pas comprendre les focus internes, c’est se les prendre en pleine face, sans même s’en rendre compte, et sans les gérer. Or, continuer à piloter sa boîte comme en focus externe crée de la tension, qui va, à terme, réduire drastiquement la pente de croissance, en ayant généré démotivation, départs groupés d’anciens, perte d’alignement entre les dirigeants et les équipes, et baisse de la satisfaction client…

(Vous m’excuserez pour la qualité du schéma, c’est fait maison sur le tableau blanc)

Au démarrage de l’entreprise, on est constamment tourné vers l’extérieur. On essaie de comprendre nos utilisateurs, nos clients, de construire le bon produit pour le bon marché. Efficiency est le premier focus interne que l’entreprise va vivre avant le scale. Il est crucial de ne pas le rater.

Comment sentir qu’on arrive dans la phase d’efficiency ?

Je vous propose un très rapide rappel des quatre étapes de la vie d’une startup (et de toute jeune entreprise en général).

Je ne m’étends pas sur la première étape, nous la connaissons déjà très bien, notamment grâce au lean startup. Il s’agit de trouver une adéquation problème/solution, un MVP. La seconde étape m’intéresse bien plus, car c’est à la fin de cette étape que commence Efficiency.

Validation se termine avec l’adéquation produit/marché. Avec une vraie belle adéquation produit/marché. C’est-à-dire quand on a vraiment trouvé le champignon et qu’on a très envie d’appuyer dessus. C’est aussi ce que l’on appelle communément la traction. Vous y êtes vraiment lorsque les résultats suivants sont obtenus :

  • Vos clients actuels kiffent vraiment votre produit. Ils l’utilisent, et ils en parlent.
  • Votre business modèle est prouvé. Cela ne veut évidemment pas dire que vous êtes rentable, ou que vous le serez demain. Cela signifie par contre que vous connaissez vos KPI business, et lesquels il vous faudra atteindre pour avoir un business rentable. Et vous savez combien vous dégagerez à ce moment-là.
  • Vous connaissez les canaux d’acquisition qui marchent le mieux pour votre business, et surtout, vous en connaissez la rentabilité !

Ces trois résultats vont ensemble, car ils signifient aussi que, pour la première fois depuis le début de votre aventure, vous avez la maîtrise de ce qu’il se passe dehors ! Vous comprenez enfin votre marché, vos clients, l’accès à ceux-ci. Vous avez la main sur l’extérieur, et il ne dépend plus que de vous de faire une belle grosse boîte. Enfin, disons qu’il ne dépend plus que de vous, de votre équipe, et de votre organisation, de faire une belle boîte qui va grossir bien vite.

Efficiency démarre exactement maintenant. Il vous faudra un peu de cash pour bien l’exécuter, mais pas trop. Bien sûr, vous avez votre cash burn à payer, mais au-delà de ça, cette phase ne vous demandera pas d’investir beaucoup. Seulement un peu d’événementiel, pour mobiliser les cerveaux de la meilleure des manières qui soit : en organisant des séminaires. Et quand il vous faudra réaccélérer, votre chéquier sera prêt à dépenser dans ce qui coûte vraiment cher : l’acquisition.

Efficiency : l’adéquation Organization/Growth

Efficiency est le démarrage de la croissance, mais en douceur. Il s’agit d’augmenter la volumétrie de clients jusqu’à atteindre la tension maximale de l’équipe et des systèmes. Puis continuer à augmenter tranquillement en ajustant l’organisation au plus fin. Le but de cette phase Efficiency est de trouver les bons multiples de croissance, par équipe et par système, pour toujours adapter l’organisation au business de demain.

C’est aussi dans cette étape que vous, fondateurs, allez vivre une petite transformation. Votre premier job était de construire un produit, de comprendre les clients, d’être au contact et d’apprendre sur le marché aussi vite que possible. Maintenant que l’adéquation produit/marché est bien atteinte, votre nouveau job est de construire une entreprise, donc une organisation, et une équipe. Cela implique de s’extraire en partie (jamais totalement) du produit, pour se concentrer sur la structure.
 

En quoi est-ce que ça consiste ? Je vous propose de comprendre ce que signifie ajuster l’organisation à la croissance. Gérer une organisation pour un business stable, ce n’est en réalité pas si compliqué. Tout simplement parce que l’on a du temps devant soi pour adapter s’adapter au business, au marché, à la volumétrie. C’est en revanche particulièrement complexe de gérer une organisation pendant une période de scale. Les enjeux varient, les rôles et fonctions évoluent, les personnes changent, les processus doivent être constamment ajustés… Une organisation en croissance est une organisation qui est toujours adaptée au business de demain et non pas à celui d’aujourd’hui.

Voici donc les sujets sur lesquels il est impératif de se concentrer durant cette phase (cette liste est évidemment non exhaustive, et variera en fonction de votre activité) :
 

  • La gestion de la volumétrie avec les équipes de prod (service client, service après-vente, gestion des fournisseurs, etc.). C’est le moment de regarder comment il est possible d’optimiser la prod ! Écoutez vos équipes, elles connaissent sans doute une multitude de quick-win que vous pourriez déclencher. Virez donc les petits cailloux qui traînent dans les godasses de chacun  
  • L’organisation des embauches et de l’onboarding. Toutes les équipes vont grandir, mais pas uniformément. Comment votre organisation va-t-elle se déformer avec la croissance ? Quels sont les multiples de croissance de chaque équipe ? Quand vos ventes augmentent de 50%, quelles sont les équipes qui grossissent le plus ? Et donc, quelles sont les équipes pour lesquelles il est urgent de mettre un process d’onboarding chiadé en place ? Anticipez également les structures des équipes qui vont le plus croître : répartition des rôles, organisation de l’encadrement, évolution pour les anciens…
  • L’optimisation des process et leur agilité. Votre process client est votre principal process, et se découpe probablement en plusieurs sous-processus. Prenez un peu de temps pour vous y pencher, et pour les optimiser. C’est un investissement, le plus vous les travaillerez, le plus longtemps votre prochain focus externe pourra durer ! A vous de trouver le bon niveau.
  • La gestion de la volumétrie sur les systèmes. Les tailles des bases de données et la puissance des serveurs (et ça, c’est facile), mais surtout la tenue de charge dans votre code et vos calculs. C’est maintenant que ça vaut le coup d’écouter le CTO qui râle depuis des mois sur la dette technique. Le but est que les systèmes tiennent la charge un moment ! Pour s’en assurer dans la durée, structurez votre roadmap produit en y intégrant des sprints de réduction de la dette.
  • La structuration de vos boards et de vos tableaux de bord: les ordres du jour, les documents de reporting, vos rapports avec vos fonds. Votre adéquation produit/marché était probablement imparfaite lors de la levée. Or les fonds vont très vite vous demander des comptes. D’autant plus que très peu comprennent vraiment la nécessité de cette phase d’efficiency, aussi « nouveaux » et modernes se marquettent-ils. Mettez-les en confiance au plus tôt, vous gagnerez du temps dans les périodes difficiles !
  • La culture d’entreprise. Les comportements dans votre startup vont changer quand vous allez dépasser la barre des 20-30 personnes. À vous de les driver en formalisant des valeurs, et en les incarnant au quotidien. Une culture forte, c’est l’assurance d’aligner les équipes sur des valeurs fortes, celles des fondateurs et des leaders. Pour scaler l’état d’esprit qui vous a déjà mené si loin…
  • Le leadership de vos CxO. Pas si facile d’absorber, de manager et d’inspirer une équipe. Il va falloir que vos CxO prennent du level, que ce soit sur leur métier ou sur leur leadership. Prenez le temps de les former, proposez-leur un coaching, et instaurez une culture du feed-back entre vous. Quand la croissance arrivera, le moral des équipes reposera sur eux !
     

Efficiency, c’est de la préparation. Et la préparation, c’est beaucoup plus facile quand on est petit. Faites émerger vos valeurs à 15 plutôt qu’à 100, ça vous prendra une après-midi. Habituez-vous à faire vivre une bonne plateforme de connaissance quand vous êtes peu nombreux, et le partage d’informations deviendra la norme. Éprouvez votre process d’onboarding très tôt, pour que les nouveaux soient autonomes dans leur intégration ; bientôt, ils arriveront par dizaines. Prenez des bonnes habitudes avant d’être dépassé !

Vous avez une très bonne adéquation produit/marché, vous avez la maîtrise de votre marché, de votre croissance. Vous avez donc la main sur l’extérieur. Prenez le temps de cette courte phase de croissance douce pour préparer votre organisation à vivre un scale plus abrupte. Et pourquoi le faire doucement ? Parce que comme toujours quand on monte une boîte, vous allez probablement vous planter un peu, alors limitez les risques !
 

Efficiency est un virage, négociez-le serré. Vous aurez alors la capacité d’appuyer sur l’accélérateur au maximum, et d’attaquer sereinement votre croissance. Si vous avez bien géré, il vous faudra attendre un bon moment avant de devoir vous reconcentrer sur l’intérieur.
 

Si vous voulez creuser ces sujets liés au scale, allez jeter un œil sur notre blog. Les articles suivants peuvent aussi vous intéresser : – L’esprit startup dure trois ans – Le plus difficile à scaler, c’est l’humain – Les 7 moments pour investir sur son équipe – Fondateurs en surcharge mentale, passez de l’ownership au leadership – comment faire de vos middles managers des leaders
 

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