Au coeur du quotidien d’une startup se trouve une articulation entre deux façons de travailler qui n’ont rien à voir. Il faut tout à la fois construire l’entreprise de demain et faire fonctionner l’entreprise d’aujourd’hui. Gérer ce double impératif n’est pas aisé, alors j’ai choisi d’écrire cet article pour vous aider à le manipuler.
Après avoir accompagné des dizaines de startups, nous nous sommes rendus compte que la plupart des fondateurs n’ont même par conscience de cette dualité. Il a donc d’abord fallu la nommer ; nous avons décidé de parler de BUILD et de RUN. Durant nos accompagnements, nous apprenons à nos clients à structurer, piloter et articuler ces deux notions. Laissez-moi vous en dire un peu plus…
C’est quoi la différence entre BUILD et RUN ?
Le BUILD, c’est la composante première de l’entrepreneuriat. Il s’agit de construire quelque chose de nouveau, de se projeter vers le futur pour le faire advenir. Comment doit-on se positionner ? Que peut-on offrir de différent ? Avec quelle équipe ? Les activités qui amènent du changement sont des éléments du BUILD.
Le RUN, c’est le travail quotidien et opérationnel de la startup. Il s’appuie sur ce qui a été construit par le passé. Quand on parle de RUN, on parle du présent. Comment cela fonctionne ? Quel est le process concerné ? Comment l’améliorer ? Les activités de recrutement, de vente, d’exécution d’un service, d’accompagnement client, de gestion des stocks… tout cela fait partie du RUN.
Ces dénominations sont issues du monde logiciel, et la métaphore fonctionne à merveillle :
- le BUILD, c’est ajouter de nouvelle features, dans une logique d’évolution
- le RUN c’est faire tourner la tech, dans une logique d’amélioration
Comme l’explique très bien cet article de Y Combinator, en tant que fondateurs de startup, votre premier job consiste à développer un produit que vos clients aiment, alors que votre second job consiste à construire une boite que vos employés aiment. Pour réussir cela, il faut les rendre autonomes sur le RUN, et les impliquer dans le BUILD…
On ne pilote pas du tout le RUN et le BUILD de la même façon !
Pour mesurer son activité et constater la progression de sa startup, il est nécessaire de comprendre finement les différences entre le BUILD et le RUN. Chacun de ces domaines suit des règles spécifiques de pilotage, qu’il vous faudra appliquer avec intelligence pour être le plus précis possible.
Le RUN c’est l’univers des process quantifiables. Avant même de vouloir les piloter, il vous faudra les formaliser comme ils fonctionnent aujourd’hui. Ayez une bonne vision de l’existant et vous pourrez ensuite vous poser la question de comment le mesurer et l’améliorer. Une fois découpés en étapes et en transformations successives, les process se pilotent très bien à grands coups de KPIs. On pourra par exemple utiliser les fameux OKR, issus des méthodes de Google.
Pour suivre le RUN au quotidien, mettez-en place des tableaux de bord simples, revus régulièrement dans des instances de décision, le tout dans une logique itérative. Au bout de chaque cycle de 3 à 6 mois, demandez-vous comment augmenter votre niveau d’exigence. N’oubliez pas aussi de capitaliser le savoir et les bonnes pratiques. Vous aurez alors tout ce qu’il faut pour exécuter un RUN de qualité.
A contrario, le BUILD, c’est l’univers des projets. Les piloter, c’est comprendre que le changement ne se fait pas sans l’adhésion des équipes. Il faut donc d’abord articuler une vision, une direction, des résultats à obtenir – qualitatifs et attractifs avant d’être quantitatifs. Pour que les collaborateurs s’engagent dans le BUILD, il faut qu’ils le comprennent et qu’ils se sentent parties prenantes, qu’ils soient leader ou contributeur.
Les plannings et les prévisionnels ne sont pas les bons outils pour piloter dans un monde incertain. Pour suivre le BUILD, appuyez-vous sur les engagements de chaque porteur de projet. Tant que les membres d’une équipe projet sont engagés dans sa réussite, vous n’avez pas besoin d’intervenir. Communiquez donc régulièrement sur le niveau d’engagement autour des projets, valorisez les leaders qui délivrent et vous aurez des résultats.
Le BUILD au service du RUN, et vice-versa
Le RUN se passe sur le terrain, au coeur de votre business. C’est ce qui vous rapporte de l’argent. Sans activité, pas de revenu, et sans revenu, pas d’entreprise viable… Le RUN c’est vital ; naturellement il doit être prioritaire. Le BUILD, lui, coûte de l’argent. C’est un investissement qui doit structurer la croissance ; si vous êtes incapables de jamais le prioriser, votre startup ne réussira pas à décoller comme vous le souhaiteriez.
Nous voilà devant le paradoxe du BUILD et du RUN : comment les articuler ?
D’abord, en tant que dirigeants, vous devez orienter à chaque instant le focus de l’entreprise : interne ou externe ? Si vous devez grossir, prouver un business model, rendre belle la mariée avant une levée ou simplement ramener du cash, vous allez entrer dans un focus externe, en mettant toute votre énergie à trouver du business et satisfaire vos clients. Mais si vous devez vous structurer, pivoter, innover – en un mot : vous transformer – c’est bien un focus interne qui vous attend. Bien sûr vous continuerez à opérer votre activité, évidemment il faudra rester proche du terrain, mais dans un focus interne, la priorité doit être la transformation la plus rapide possible.
C’est elle qui vous donnera alors les moyens d’accélérer à nouveau. Quel que soit votre focus présent, vous aurez besoin du BUILD et du RUN. Le secret de la réussite, c’est de les mettre au service l’un de l’autre, alternativement :
- Dans un focus de RUN (externe), on va continuer à faire du BUILD, pour faciliter le travail des opérations, mais aussi anticiper le prochain focus et le réduire au maximum.
- Dans un focus de BUILD (interne), on va se servir du RUN pour tester des choses nouvelles et s’assurer que ce qu’on construit est pertinent pour les clients et les collaborateurs.
Finalement, la difficulté dans l’articulation BUILD / RUN, c’est la valorisation et l’allocation des ressources. Il vous faudra apprendre à savoir qui aime quoi dans votre équipe, et comment répartir le boulot entre ces deux activités, selon les phases de votre startup. En tout cas, n’oubliez pas : le BUILD et le RUN sont tout aussi importants. Alors ne valorisez pas l’un (les porteurs de projets, les top managers, les innovateurs) plutôt que l’autre (les sales, le service client, les middle managers) !
Cas particulier : le développement produit, c’est du BUILD ou du RUN ?
Si votre entreprise développe un produit, alors vous avez dû vous poser la question : quand des développeurs codent une nouvelle feature, sont-ils en train de faire du RUN (leur travail quotidien) ou du BUILD (l’ajout d’une nouveauté radicale) ? Réponse : les deux mon général !
Dans le cas particulier du produit, tout ce que j’ai dit précédemment se mélange. Le BUILD et le RUN se confondent. L’organisation et le pilotage du développement produit se gère encore différemment. Cela nécessiterait un autre article pour vous le détailler. En attendant, allez voir la bible de Thiga, ça vaut le coup !
Si le produit est si spécial, c’est qu’il touche au coeur du business. Ce que Steve Jobs nous a appris à ce sujet, c’est que le BUILD de nouveaux produits doit cannibaliser le RUN des produits actuels. L’Iphone a participé de la baisse des ventes de l’Ipod, mais si Apple ne l’avait pas fait, d’autres constructeurs auraient saisi l’opportunité.
Développer son entreprise dans un monde incertain et changeant, c’est équilibrer BUILD et RUN en continu, avec courage et finesse.